Il y a des moments où la vie se joue de coïncidences et de prémonitions qui vous laissent à tout jamais perplexe. Par exemple, environ quatre années avant l’écriture de cette chronique, je fis l’acquisition d’une place pour mon premier concert de Children Of Bodom, attendu avec impatience depuis ma découverte du groupe en 1999.
La date prévue de ce show était la suivante : le 09 mai 2011. Comment aurais-je pu deviner qu’en lieu et place d’un premier rang au Bikini pour admirer les éructions démoniaques d’Alexi Laiho, je me trouverais aux premières loges d’une salle d’accouchement pour assister aux premiers cris angéliques de Maxence, mon premier fils. Je pensais pourtant avoir bien calculé mon coup en prenant cette place datée de quinze jours avant le terme prévu de la grossesse de ma femme et j’avais bien envoyé valser les nombreux amis qui m’assuraient en ricanant, parfois jusqu’à m’en faire douter, qu’elle accoucherait le jour même du concert… Et c’est bien ce qui se produisit. Le jour venu, à peine deux heures avant mon départ supposé pour le Bikini, les contractions débutèrent, puis s’accentuèrent rapidement, me forçant à me rendre à l’évidence : Children Of Bodom, ce serait pour une autre fois et c’était bien évidemment pour la meilleure des raisons ! Mon fils naîtra après minuit, le 10, juste histoire de faire un (léger) pied de nez aux mauvaises langues qui espéraient bien fort ce cas de figure pourtant peu probable.
C’est en clôture du Hellfest 2012 que j’aurais l’occasion de voir le Wildchild et sa bande pour la première fois. Ce spectacle d’une heure fut excellent, avec un joli décor de scène et quelques explosions bien sympathiques. Le groupe était dans une forme éblouissante et Alexi, à coup sûr bien alcoolisé, n’aura cessé haranguer la foule et de jouer des tours à ses musiciens, le tout dans une ambiance bon enfant. Je garde de cette première un excellent souvenir, bien que la fatigue plombante d’un dimanche soir au Hellfest aura quelque peu freiné mes ardeurs ! Mais c’est avec l’espoir de voir cet essai être transformé que je me rends donc au Bikini ce mardi 05 novembre 2013 pour une séance de rattrapage, sans pression car cette fois-ci ma femme n’est pas sur le point d’accoucher.
La soirée débute à 20h pétante avec l’entrée en lice d’un petit nouveau fraîchement embarqué par Children Of Bodom depuis sa Finlande natale, un groupe de death métal moderne et mélodique nommé Medeia. Affichant déjà deux albums à son compteur, ce jeune sextet va délivrer un show énergique et plein de positivité. Pourtant, le public reste peu réactif à sa musique qui intègre des refrains travaillés avec de nombreux vocaux clairs de la part du chanteur principal mais aussi de la claviériste qui apporte une touche de finesse à un ensemble toutefois très agressif. Le groupe terminera son set d’une demi-heure par un bon bain de foule, venant avec tous ses membres remercier et saluer le public depuis la fosse aux photographes. Une belle entrée en matière !
La soirée se poursuit entre 20h45 et 21h25 avec un groupe polonais qui illustre à merveille la subtile recherche de patronyme qui incombe au style de musique qu’ils représentent : Decapitated. Inutile de préciser qu’avec un nom pareil les quatre bougres ne font pas dans la comptine pour enfants mais il est important de préciser qu’il s’agit de brutal death technique (si, si, ça existe). Il est vrai qu’il devient vite très complexe de distinguer une quelconque différence entre chacun des morceaux et que la technique vocale du chanteur est aussi monocorde que les ronflements d’un ours en pleine hibernation. Ce groupe est d’ailleurs réputé comme une pointure du genre, à en juger les dires de certains qui seraient venus spécialement pour lui. Personnellement j’aurais bien chaussé des bottes de sept lieux, histoire d’aller faire un tour ailleurs en vitesse si seulement je étais pas obligé de rester accroché à la barrière pour la suite. Sans doute est-ce la faute au son horriblement saturé en basse ou à l’aspect rébarbatif des compositions, mais sans vouloir leur faire d’affront j’ai plus saisi la brutalité que la technique! Ceci ne sera pas l’avis général du public qui semble dans sa majorité apprécier ce magma sonore indescriptible et qui offre au groupe le droit de quitter la scène sous de vives acclamations.
Les enfants de Bodom investissent la scène à 22h pour un concert d’à peine 1h15 qui sera plaisant, mais soyons direct, ne restera pas dans les annales. Malgré une setlist pertinente n’oubliant presque aucun des grands moments de leur discographie (au moins un extrait de chaque album) et un public réjouit de cela, les cinq scandinaves, son leader de chanteur en tête, n’ont pas enflammé le Bikini comme ils avaient pu le faire au Hellfest en 2012.
Musicalement il n’y a pourtant presque rien à redire : le son est une fois de plus à la hauteur d’un tel groupe qui balance des morceaux oscillant toujours entre le black et le heavy traditionnel avec une touche de progressif subtilement apportée par les nombreux et très techniques solos de clavier. Ce son spécifique fait la force de Children Of Bodom, un son inimitable qui est leur marque de fabrique et qui a toujours rompu avec la monotonie sonore parfois inhérente au métal extrême (cf. Decapitated). Le choix des titres interprétés ce soir là m’a semblé judicieux, alternant morceaux ultra-rapides, plutôt significatifs de leur début de carrière, avec des chansons plus mi-tempo qu’ils développèrent en plus grand nombre dans les albums plus récents. Sur ce point là, même les fans de la première heure, très exigeants et peu avares en critiques sur les derniers méfaits du groupe, furent ravis. Là où le bât blesse c’est plutôt sur la prestation scénique du combo qui est restée aussi froide que les températures moyennes relevées lors d’un hiver bien rude en Laponie.
Alexi, principal compositeur et âme du groupe : concentré, le chanteur guitariste nous a tout juste jeté un regard ou deux, restant cloitré dans sa ronde d’amplis, balançant passablement quelques médiators toujours au même endroit de la fosse sans jamais regarder où ils retombent. Cette distance est d’autant plus dommageable que le bonhomme est véritablement la star du groupe, celui vers qui tous les regards convergent. Heureusement ses solos endiablés, qui ornent de la plus belle des manières chaque chanson, auront un effet salvateur sur sa prestation scénique globalement de piètre qualité.
Henkka le bassiste et Roope le second guitariste nous ont heureusement gratifiés d’ une plus grande attention, sans pour autant faire preuve d’un plaisir de jouer débordant, mais se déplaçant sur l’ensemble de la scène en permanence. Janne le claviériste ne s’est pas non plus transcendé sur scène, c’est le moins que l’on puisse dire, et seul le batteur Jaska aura fait preuve d’un véritable enthousiasme, répondant aux sollicitations du public par des clins d’œil et montrant régulièrement du bout de ses baguettes ceux qui lui faisaient des signes, votre serviteur y compris. Cela va sans dire mais quand un musicien répond positivement, ne serait-ce par un petit geste, à vos marques de reconnaissance, le plaisir procuré par cette complicité furtive est réel.
Voilà ce qui manquait à Children Of Bodom ce soir là : de la complicité avec son public et faire preuve d’un plaisir d’être sur scène pour jouer la musique qui est censée être leur passion tout comme la notre. Il ne faut pas oublier que c’est avant tout une passion commune qui rassemble les musiciens et leur public, et que malgré le rythme routinier des tournées qui est bien compréhensible, un groupe comme celui-ci ne devrait pas se contenter d’être en roue libre comme c’est désormais le cas. La chance d’être musicien professionnel, qui est un rêve pour un nombre incalculable de personnes, mérite qu’on lui donne plus de crédit qu’à un simple travail alimentaire. Alexi Laiho, avec tout le respect que je lui porte et malgré tout le talent qui le caractérise, devrait méditer là-dessus. Pour ma part je continue de vivre cette passion pour la musique au maximum de mes possibilités, car vivre ses passions n’est-il pas le meilleur moyen d’être passionné de vivre?
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Chronique : Adrien
Merci à SPM et à Fred en particulier
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